
TPE
La réalité de la consommation de drogues
durant les « années lycée »
Comment peut-on expliquer la forte attractivité du cannabis
chez les lycéens : effets, méconnaissance des risques?
Entretien avec un biologiste pharmacologue toxicologue
en milieu hospitalier
Date : samedi 21 février 2015
Afin de mieux comprendre le mécanisme d’action du cannabis et d’en savoir un peu plus sur les effets et la détection des nouveaux cannabinoïdes, nous sommes allés dans un laboratoire hospitalier de pharmacologie et toxicologie rencontrer un pharmacologue toxicologue.
Depuis combien de temps exercez-vous votre métier ?
Depuis 2003 j’exerce dans ce laboratoire de pharmacologie clinique et de toxicologie clinique. Le laboratoire réunit deux activités, la Pharmacologie et la toxicologie. La Pharmacologie est l’étude des médicaments et principalement du suivi thérapeutique. Le Suivi Thérapeutique Pharmacologique (STP) consiste à vérifier l’efficacité thérapeutique d’un médicament, en mesurant la concentration sanguine d’un médicament afin de s’assurer qu’elle soit correcte. La Toxicologie est l’étude des substances toxiques qui peuvent être présentes dans l’organisme. Il peut s’agir de molécules toxiques ou de médicaments dont les concentrations sanguines sont trop importantes et considérés dès lors comme des toxiques.
Quel est votre « titre » précis ?
Je suis pharmacien biologiste et j’ai complété ma formation par l’internat en pharmacie. Je me suis spécialisé dans le domaine de la pharmacologie et de la toxicologie clinique. Ces disciplines s’intéressent au devenir des substances dans l’organisme : mécanisme d’action, effets thérapeutiques, toxiques, dosages pour étudier les relations dose/effet. J’assure également des cours à la faculté. Mon titre exact est donc pharmacien biologiste Maître de Conférence des Universités-Praticien Hospitalier
Pouvez-vous nous décrire de façon simple le mécanisme d’action du cannabis ?
Concernant le cannabis, il s’agit d’une substance qu’on qualifie de psychotrope ou encore psychoactive, c'est-à-dire qui va agir au niveau cérébral en modifiant l’activité mentale, les sensations et le comportement. Les substances psychoactives modifient la perception de la réalité et la façon de réagir face à cette réalité. Les substances psychoactives peuvent être des médicaments : ce sont les médicaments qui agissent contre l’anxiété, les troubles du sommeil ou encore la dépression. Les effets des substances psychoactives sur le cerveau sont généralement regroupées en 3 catégories : il y a les substances stimulantes qui entraînent excitation, insomnie (par exemple la cocaïne ou les amphétamines), les substances qui ont un effet dépresseur sur le Système Nerveux Central (SNC) c’est-à-dire qu’ils provoquent somnolence, détente mais attention car il y a toujours une baisse de la vigilance (ce sont par exemple les médicaments qu’on appelle les benzodiazépines qui sont anxiolytiques, c’est aussi l’héroïne et les molécules dérivées que l’on appelle les opiacés). Il y a enfin les substances hallucinogènes ou perturbatrices du SNC dont fait partie le cannabis. Ces agents perturbateurs induisent une perturbation de la perception de l’environnement et de la réalité. Ils entraînent des modifications de la perception du temps et de l’espace et une sensibilité exacerbée aux couleurs et aux sons. A long terme, ils peuvent modifier durablement la personnalité du consommateur qui ne peut plus composer avec les éléments de la réalité. Pour faire ses effets le cannabis agit sur des récepteurs qui lui sont spécifiques et situés au niveau du cerveau, plus particulièrement au niveau de ce que l’on appelle le circuit de récompense qui est le ‘système ‘du cerveau qui, lorsque il est stimulé provoque du ‘plaisir’ grâce à une augmentation du taux de dopamine. Pour revenir aux récepteurs au cannabis, on distingue 2 types de récepteurs, les récepteurs CB1 et les récepteurs CB2 (CB pour cannabinoïdes). Les récepteurs CB1, sur lesquels agit préférentiellement le cannabis, sont principalement localisés dans le SNC, comme nous vous le disions précédemment. Au niveau du système de récompense, le THC, qui est la molécule active du cannabis, en se fixant sur ses récepteurs, bloque les neurones qui inhibent les neurones dopaminergiques. De ce blocage découle une augmentation de la concentration de dopamine, ce qui a pour effet de renforcer les comportements liés à la consommation de cannabis. La localisation des récepteurs CB1 au niveau de structures impliquées dans le phénomène de mémoire et de traitement des informations sensorielles explique les effets psychoactifs du cannabis pour lequel il est consommé (modification des sens et des émotions en particulier) mais aussi les effets secondaires dont on parle, en particulier les troubles de mémorisation, d’apprentissage qui font que les jeunes consommateurs qui ont des consommations régulières se retrouvent en échec scolaire. Les récepteurs CB2 sont quant à eux, présents dans le tissu lymphoïde, le système immunitaire et les amygdales. Leur stimulation entraîne un effet anti-inflammatoire.
Les effets psychoactifs sont-ils dépendants du produit consommé et/ou de la dose ?
Cette question n’est pas si facile. Nous venons de voir qu’en effet les produits ont des effets psychoactifs différents. Mais ces effets peuvent varier en intensité en fonction de la dose de principe actif consommé et du mode de consommation que ce soit la voie par laquelle le produit est consommé (par exemple fumé, injecté ou ingéré) ou la fréquence à laquelle il est consommé (plus on s’administrera régulièrement du produit plus la dose finale consommée sera importante et plus l’organisme deviendra tolérant au produit). En général le fait de prendre des doses importantes de produit et de façon répétée augmente le risque de dépendance car l’organisme passe d’abord par une phase de tolérance, d’accoutumance au produit, c’est-à-dire que pour ressentir les mêmes effets psychoactifs il faudra augmenter la dose puisque le corps se sera habitué. Au final le sujet ne pourra plus se passer du produit et même il ressentira des effets désagréables (appelés syndrome de sevrage) s’il n’a plus de produit ou s’il diminue la dose, c’est la dépendance.
Vous voyez donc qu’en effet, tout est question de produit, de dose et de
mode de consommation. Si nous prenons l’exemple du cannabis, il fera plus rapidement effet s’il est fumé que s’il est consommé dans un space-cake. Les différentes voies par lesquelles les sujets consomment font que le principe actif se diffuse plus ou moins rapidement dans l’organisme et peut aller plus ou moins facilement atteindre le cerveau. Vous devez savoir que le THC (Tétra-Hydro-Cannabinol), qui est la molécule active dans l’herbe ou la résine de cannabis, est présent en quantité variable dans les herbes ou résines de cannabis : on parle de produits plus ou moins fortement dosés et on exprime cela en parlant de teneur en THC exprimée en pourcentage. Le cannabis qui circule aujourd’hui présente des teneurs en THC bien plus importantes que dans les années 70 avec des taux moyens autour de 15 à 20%. Les effets psychoactifs qui sont ressentis peuvent donc être importants et le risque d’effets secondaires bien réel.
Si on répond à cette question du côté analyse, c’est encore moins facile. Il est admis que lorsqu’on retrouve du THC dans le sang, cela signifie que la personne est sous l’emprise de la drogue. Mais interpréter un dosage de THC pour répondre à la question existe-t-il une relation dose/effet est complexe car même si, en effet, plus il y a de THC plus les effets seront importants, tout dépend du produit consommé car la réponse sera à la fois fonction de la teneur en THC du produit et de la façon dont le sujet va métaboliser le THC. En effet le métabolisme d’un produit chez l’être humain est soumis à une variabilité individuelle définie par les gènes.
On lit dans la presse qu’il y a aujourd’hui des nouvelles drogues disponibles sur internet « légalement » dont des cannabinoïdes de synthèse. Ont-ils les mêmes effets et sont-ils détectables comme le THC ?
Les média ont en effet beaucoup alerté à propos des nouvelles drogues appelées aussi Nouveaux Produits de Synthèse ou NPS. Cette alerte est réelle et on nous a pas mal sollicités depuis un an pour faire de l’information sur ces NPS. S’ils sont en effet nouveaux par le fait que ce sont des nouvelles molécules, jusqu’ici pas encore identifiées, ces NPS imitent cependant les drogues connues car les molécules sont des dérivés de substances déjà connues. Du point de vue chimique beaucoup de ces NPS dérivent des cannabinoïdes ‘ancestraux’ sur lesquels on a développé des recherches, notamment pour trouver des molécules agissant plus spécifiquement sur les récepteurs CB2, et permettre de développer de nouveaux médicaments anti-inflammatoires ou antalgiques. On ne souhaitait pas que ces molécules, destinées à être des médicaments, puissent agir sur les récepteurs CB1 et entraîner des effets psychoactifs (on pourrait craindre un mésusage et un détournement de ces médicaments pour un usage récréatif, pour la ‘défonce’). Mais, les recherches ont conduit aussi au développement de molécules dérivant des plus anciens cannabinoïdes et agissant sur les récepteurs CB1. Il se trouve que les nouveaux cannabinoïdes que l’on peut trouver sur Internet (on peut trouver des poudres mais le plus souvent on vous vend des mélanges d’herbes qui n’ont pas elles-mêmes de propriétés psychoactives mais sur lesquelles ont été pulvérisées des poudres de cannabinoïdes de synthèse) ont ce que l’on appelle une meilleure affinité pour les récepteurs CB1 que le THC. L’affinité définit la capacité de la molécule à se fixer au récepteur, ce qui veut dire pour les cannabinoïdes de synthèse, qu’ils se fixent très facilement aux récepteurs CB1 et que la fixation est très forte. De ce fait, non seulement les cannabinoïdes de synthèse qui se fixent sur les mêmes récepteurs que le cannabis ‘classique’ vont donc agir de la même façon et provoquer les mêmes effets mais qu’en plus, du fait de cette très forte fixation, les effets seront plus puissants. Le retour que nous avons d’usagers habitués au cannabis et qui ont voulu tester les cannabinoïdes de synthèse en se disant qu’ils risquaient moins avec la police puisqu’ils ne sont pas réglementés ou non dépistés, n’ont pas apprécié car les effets sont trop forts ! Vous l’aurez compris ces cannabinoïdes de synthèse ont de forts effets psychoactifs –même trop forts- et de forts risques d’effets indésirables. Nous avons déjà eu connaissance d’intoxications sévères avec ce type de produits en France. Nous craignons surtout que des jeunes, n’ayant pas forcément déjà touché au cannabis, commandent et goûtent ces substances parce que rassurés du fait que c’est en vente sur Internet et que ça apparaît comme légal (seulement quelques molécules sont aujourd’hui interdites et classées sur la liste des stupéfiants) alors que les risques pour la santé sont vraiment importants. L’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), qui s’occupe de réglementer les stupéfiants et qui a été informée des dangers de ces produits, a donné son accord pour que les 7 principales familles de cannabinoïdes de synthèse soient inscrites sur la liste des stupéfiants interdits. A noter, que l’on remarque d’ores et déjà des complications psychiatriques plus fréquentes avec ces molécules et des états psychotiques de plus forte intensité qu’avec le cannabis.
Une toute petite parenthèse pour vous parler du ‘cannabis thérapeutique’ : c’est un sujet qui revient souvent et aujourd’hui en France on a autorisé 2 médicaments qui contiennent des dérivés du cannabis pour certaines maladies bien précises avec tout un contrôle pour leur prescription. Sachez que ces médicaments contiennent des dérivés cannabinoïdes (et pour l’un d’entre eux du THC en plus mais à très très faible dose) qui n’entraînent pas d’effets psychoactifs.
Revenons aux nouveaux cannabinoïdes vendus sur Internet. Vous posez la question de la détection. C’est une vraie question… ou plutôt une vraie difficulté, un vrai problème ! Certes les dosages peuvent en théorie se faire, comme pour le THC et son métabolite, dans le sang, les urines, les cheveux ou encore la salive. Et les appareils nécessaires sont les mêmes aussi. Mais la difficulté est que pour pouvoir détecter et doser une substance il faut avoir une méthode de dosage validée. De façon très schématisée, à une structure chimique correspond un dosage : comme les cannabinoïdes de synthèse ont des structures différentes du THC, ils ne sont pas détectés par les tests de dépistage classiques au cannabis. Et face au nombre très important de nouveaux cannabinoïdes de synthèse, les techniques de dosages ne sont pas encore mises au point pour toutes les molécules, loin de là ! Au laboratoire, nous nous intéressons au dépistage des drogues et nous avons travaillé pour mettre au point une méthode de détection de moins de 10 cannabinoïdes de synthèse que nous avons choisi parmi ceux les plus fréquemment retrouvés en Europe et aussi en fonction de leur toxicité connue. Cette mise au point a nécessité 6 mois de travail.