
TPE
La réalité de la consommation de drogues
durant les « années lycée »
Comment peut-on expliquer la forte attractivité du cannabis
chez les lycéens : effets, méconnaissance des risques?
III) Vers une prise de conscience ?
Pour compléter nos recherches bibliographiques nous avons réalisé plusieurs interviews auprès de différents professionnels dans le domaine des conduites addictives : des policiers, un médecin addictologue, un biologiste toxicologue ainsi qu’un pharmacologue toxicologue. Leurs réponses nous ont conforté, pour certaines, quant à la réalité des données que nous avions trouvées dans la littérature et d’autres nous ont amené à élargir notre réflexion.
1)Des produits et des effets plaisants:
a)Disponibilité et diversité des produits:
L’expérimentation d’un produit est supposée d’autant plus difficile que le produit est « inaccessible » ou jugé comme tel. Le rapport européen des drogues pour l’année 2014 indique que plus de 80% des saisies en Europe concernent le cannabis et plus des ¾ des Infractions à la Législation sur les Stupéfiants (ILS) concernent également le cannabis. Cette substance circule donc a priori fortement en Europe (13).
L’enquête ESCAPAD confirme cette relative accessibilité également en France où la moitié des lycéens jugent le cannabis assez ou très facile d’accès.
Parallèlement à cette disponibilité s’ajoute, comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, des formes et concentrations variées de produits contenant des cannabinoïdes végétaux ou synthétiques pouvant donc satisfaire un large panel de consommateurs à la recherche d’effets psychoactifs plus ou moins puissants. L’OFDT, dans son ouvrage en 2005 sur les données essentielles concernant le cannabis, indiquait que les motifs de consommation de cannabis déclarés par les consommateurs réguliers sont divers et multiples : relaxation, partage, fête, habitudes, endormissement, défonce... Cette multiplicité est une traduction de la diversité des effets recherchés. Dans ce rapport était également indiqué que les consommateurs réguliers ont une préférence marquée pour l’herbe qu’ils considèrent « plus naturelle » que la résine. A l’heure du bio, nous pouvons penser en effet que ce produit végétal peut attirer davantage que des produits chimiques et finalement être considéré comme peu ou moins dangereux (14).
b)Détection et répression limitées:
Comme les toxicologues ont pu nous l’expliquer la détection du THC est certes possible mais elle dépend de la dose, du délai entre le moment où est fait le prélèvement et celui où est réalisé le dosage et, dans certains cas, il faudra rechercher les métabolites car le principe actif n’est plus détectable. D’autre part s’il existe aujourd’hui des tests salivaires permettant de détecter le cannabis une fois encore tout est question de sensibilité de la méthode et du seuil de détection. Les limites de la détection des cannabinoïdes de synthèse sont encore bien plus importantes puisqu’à ce jour très peu de molécules sont détectables et dosables parmi les centaines de molécules disponibles sur internet. Ils ne sont pas détectables par les tests salivaires nous a précisé le pharmacologue toxicologue qui nous a reçus pour nous éclairer sur ces nouvelles molécules.
Concernant la répression, la loi du 31 décembre 1970 interdit et pénalise l’usage illicite de toute substance classée comme stupéfiant. Elle a été complétée par plusieurs circulaires de politique pénale, la dernière en date d’avril 2005. L’usage illicite de stupéfiants est un délit sanctionné d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende. Dans la pratique, les orientations de politique pénale recommandent aux procureurs d’éviter l’incarcération et de privilégier l’orientation sanitaire et sociale : rappel à la loi, orientation vers une structure sanitaire ou sociale ou obligation de soins contraignante. La circulaire d’avril 2005 précise que les poursuites pénales devant le tribunal correctionnel devront “rester exceptionnelles” et être réservées aux récidivistes ou aux usagers qui refusent de se soumettre aux mesures alternatives. L’usager revendeur, qui finance ainsi sa consommation personnelle ou en tire un profit même minime, est considéré comme trafiquant et s’expose à des poursuites graves : jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Ces peines peuvent être doublées quand la vente est faite à des mineurs ou dans des lieux spécifiques comme les abords d’établissements scolaires (5, 13).
2)Des risques cepedant:
Nous l’avons vu précédemment, le cannabis peut être responsable d’effets secondaires divers sur l’organisme mais aussi de troubles psychiatriques. Ceux-ci nous ont été confirmés par les professionnels que nous avons interviewés. Mais ces derniers ont aussi insisté sur une nécessité de renouveler sans cesse les campagnes de prévention et d’information, non seulement parce que les produits évoluent (taux de THC de plus en plus élevés, nouvelles molécules avec des effets plus puissants) mais aussi parce que les jeunes perçoivent plutôt difficilement ces risques. Ainsi l’enquête ESPAD en 2003, avait permis d’étudier la perception des risques liés au cannabis dans une trentaine de pays européens. Il apparaissait que la France figurait parmi les pays où la proportion de jeunes qui pensent que l’expérimentation de cannabis constitue un grand risque est relativement basse : 23 % contre 70 % en moyenne sur l’ensemble des pays ayant participé à l’enquête (14).
a)Effets sur le cerveau:
Les experts ayant rédigé l’expertise INSERM sur les conduites addictives chez les adolescents en 2014 ont souligné la plus forte sensibilité de cette population aux effets neurotoxiques de l'alcool et du cannabis par rapport aux adultes, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux conséquences de la consommation de ces substances.
Le cerveau de l’adolescent est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l’adulte. Il présente la particularité d’être dans un état de transition vers l’état adulte. Les processus de maturation cérébrale (qui se poursuivent jusqu’à environ 25 ans) entraînent une vulnérabilité exacerbée de l'adolescent vis-à-vis de la neurotoxicité des substances psychoactives en général. Une zone du cerveau, le cortex préfrontal, qui permet la prise de décision, l’adaptation du comportement à la situation, est plus particulièrement concernée par cette maturation à l’adolescence.
Quel que soit le produit considéré, la précocité de l’expérimentation et de l’entrée dans la consommation accroît les risques de dépendance ultérieure et plus généralement de dommages subséquents.
Dans les heures qui suivent l’usage de cannabis, les troubles cognitifs observés concernent l’attention, le temps de réaction, la mémoire de travail, et les fonctions exécutives. Il existe par ailleurs une corrélation significative entre l’usage et divers « passages à l’acte » (tentatives de suicide, boulimie, comportements sexuels à risque...) dus à la levée de l’inhibition comportementale.
Ces troubles cognitifs ont tendance à disparaître dans le mois suivant l’arrêt de la consommation. Chez l’adolescent, certains de ces troubles peuvent persister, y compris après sevrage, en particulier si la consommation a débuté avant l’âge de 15 ans. Les troubles cognitifs observés à long terme sont corrélés à la dose, la fréquence, la durée d’exposition et à l’âge de la première consommation de cannabis.
La consommation régulière de cannabis a des effets à long terme qui peuvent altérer les résultats scolaires, et les relations interpersonnelles.
Enfin, l’usage de cannabis peut également précipiter la survenue de troubles psychiatriques (troubles anxieux, troubles dépressifs, symptômes psychotiques et schizophrénie) chez l’adolescent. Concernant les troubles psychotiques, ce risque peut être modulé par certains facteurs génétiques, l’âge d’exposition et l’existence préalable d’une vulnérabilité à la psychose (antécédents familiaux) (7, 14).
Que ce soient les policiers que nous avons interrogés ou encore le pharmacologue, le toxicologue ou le psychiatre, tous ont bien évoqué ces effets en insistant en effet sur des effets psychiatriques de plus en plus fréquemment observés.
b)De la prévention à l'accompagnement:
En France diverses associations et structures proposent des séances de prévention et de sensibilisation en ce qui concerne les dangers des drogues et d’autre part des consultations dédiées aux jeunes et faites par des professionnels de l’addictologie ont été plus récemment mises en place. Nous avons interrogé d’une part un policier formateur anti-drogue et d’autre part un médecin addictologue qui rencontre régulièrement des jeunes ayant des conduites addictives.
Aujourd’hui en France, plus de 400 Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) existent témoignant une fois encore de la réalité des consommations par les jeunes et de la nécessité de les prendre en charge car l’expérimentation est passée à un usage qui pose problème ou à défaut questionne. Animées par des professionnels des addictions et de l’adolescence (médecins, psychologues, éducateurs), elles accueillent gratuitement les jeunes de 12 à 25 ans ou leurs parents pour leur permettre de faire le point sur diverses consommations : alcool, cannabis, jeux vidéo, tabac, etc. Ce dispositif de proximité, confidentiel et gratuit, demeure méconnu des familles. Pourtant, aussi bien les parents que les adolescents s’accordent à dire que ce type de consultation est utile (97% des parents et 90% des adolescents interrogés).
Depuis le 12 janvier 2015, une campagne d’information à destination du grand public et des professionnels de santé pour mieux faire connaître les « CJC » a été lancée en particulier sous la forme de spots publicitaires. Ces spots mettent en scène les visions caricaturales et fantasmées induites par des comportements potentiellement addictifs, et montrent comment les CJC peuvent être un lieu de retour au dialogue entre l’adolescent et son entourage.
Les CJC permettent :
- d’effectuer un bilan des consommations,
- d’apporter une information et un conseil personnalisé aux adolescents et à leurs familles,
- d’aider en quelques consultations à arrêter ou à réduire la consommation ou la pratique addictive,
- de proposer, lorsque la situation le justifie, une prise en charge à long terme,
- d’orienter vers d’autres services spécialisés si nécessaire (11).
Que ce soit le policier formateur anti-drogue ou le médecin addictologue ces deux professionnels nous ont confirmé que le message de prévention dispensé aujourd’hui doit s’adapter à la tendance actuelle, aux habitudes du moment, et que la formation destinée à éviter une première consommation (ou à la retarder) tout comme l’accompagnement du consommateur doivent avoir pour objectif une prise de conscience par les jeunes et par les consommateurs de la réalité des risques et des conséquences néfastes (retentissement scolaire, conflits familiaux, désocialisation). Il faut que les jeunes qui sont les premiers expérimentateurs arrivent à repérer qu’ils sont dans une consommation problématique et à le reconnaître pour pouvoir changer leur comportement.
3)Discussion:
Après avoir lu les différents documents et avoir posé nos questions aux différents professionnels nous ne pouvons faire que le même constat que celui de l’expertise Inserm 2014 : en dépit d’une réglementation interdisant les drogues et de campagnes de prévention répétées, les niveaux de consommation de certaines substances psychoactives, et en particulier du cannabis, demeurent élevés chez les adolescents.
Concernant les effets, à la vue de ce que nous avons exposé ci-dessus, notamment les motifs de consommations évoqués par les jeunes, les effets ressentis du cannabis -donc ses effets psychoactifs- (relaxation, bien-être, diminution de l’anxiété, inhibition) se présentent comme l’élément essentiel de l’attractivité de cette drogue pour les lycéens. En effet ces effets apparaissent comme une réponse possible aux problèmes ressentis à l’adolescence comme l’anxiété, l’angoisse, un certain mal-être, des tensions familiales et /ou scolaires. Même si, comme nous l’avons vu avec le psychiatre addictologue qui participe aux consultations pour les jeunes consommateurs, c’est une fausse réponse : en réalité l’adolescent fuit son problème en rajoutant celui de la prise de drogue.
A ces effets biologiques l’attrait du cannabis par les lycéens s’explique aussi par le fait de vouloir, à cette période de leur vie, briser les interdits et vivre de nouvelles expériences. Rappelons ici que certains individus semblent génétiquement plus disposés à être des expérimentateurs.
S’ajoute enfin l’environnement avec l’influence des pairs qui jouent un rôle important à cet âge et ceci malgré les risques dont les jeunes sont régulièrement informés mais qu’ils ne reconnaissent pas. Avec le cannabis, on pourrait penser que les jeunes y goûtent sans en craindre les effets secondaires et pour les cannabinoïdes de synthèse on pourrait imaginer que les jeunes risquent de vouloir y goûter sachant qu’ils y trouveront les mêmes effets sans craindre des effets néfastes car ils sont faussement rassurés du fait que ces produits semblent légaux. A noter, que pour ces nouvelles molécules de cannabinoïdes, le fait qu’elles soient non détectables pourrait aussi favoriser leur consommation sans risquer de se faire prendre.
L’attractivité dominée par les effets psychoactifs recherchés et ressentis du cannabis et des dérivés cannabinoïdes apparaît donc cependant multifactorielle.



Figure 11 : Tendances observées depuis 2006 des infractions liées à l’usage de drogue ou à la détention pour usage personnel en Europe selon les produits saisis.
Source : OFDT, rapport européen sur les drogues 2014
Figure 10 : Répartition par produit des infractions liées à l’usage de drogue ou à la détention pour usage personnel en Europe
Source : OFDT, rapport européen sur les drogues 2014
Figure 12 : Motifs de consommation parmi les consommateurs réguliers de cannabis de 15-29 ans en 2004 (en %)
Source : Enquête « Consommateurs réguliers de cannabis » 2004, OFDT